Mobilité et emploi du temps sont désormais dictés. Ouest France

Je remercie Ouest France de m’avoir contacté et proposé de publier un article sur ma vision de l’effet covid depuis un an.

A lire sur le site Ouest France, publié le 3 mai 2021, en accès complet pour les abonnés et en version papier.

En voici la retranscription:

POINT DE VUE. Ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas

Audrey Chapot, anthropologue décrypte les transitions de vie et évolutions sociétales. Elle a publié trois ouvrages sur ces sujets.

Depuis un an, la quasi-totalité de la planète vit une situation surréaliste, sans précédents ni visibilité concrète pour la suite. Au-delà des événements spécifiquement sanitaires, une mutation anthropologique est en cours : inédite, profonde et irrémédiable. Par son ampleur, elle marque un point de bascule entre la civilisation actuelle qui se meurt, et une à venir. Observations, constats, questionnements, prises de position, notre époque est à la fois féconde et potentiellement dévastatrice selon ce que nous considérons essentiel, ou non.

Le malaise actuel tient notamment au fait que la totalité de nos repères structurels s’effondre et que certains de nos besoins essentiels sont simultanément contraints. Ils constituent pourtant des balises indispensables au bon équilibre des modes de vie individuel et collectif, présents à toute époque et en tout lieu. La situation transitoire nous oblige à trouver d’autres ressources et astuces, des béquilles momentanées, pour préserver notre équilibre psychique inévitablement fragilisé.

Premier élément essentiel que notre modèle de société a cherché à éviter depuis des décennies : l’incertitude. L’effet covid nous l’impose, et c’est une bonne nouvelle ! Son rôle est crucial : il renforce notre capacité d’adaptation et aiguise notre discernement. Chacun a donc besoin de réapprendre à vivre avec l’inconnu, sans maitrise ni contrôle absolu, en cassant les routines devenues anesthésiantes, en acceptant les événements naturels. Pas toujours facile.

Le second élément est à bout de souffle. Nos institutions, pourtant garantes de la tenue et de l’évolution de notre société, peinent à garder le cap. Comment faire lorsque les « appareils » politiques, scientifiques et médicaux semblent se saboter et n’imposent plus le respect ? En quoi sont-elles encore légitimes, telles quelles ?

Viennent ensuite quatre registres essentiels, pourtant contraints, voire confisqués. Notre rapport au temps et à l’espace est jugulé. Mobilité et emploi du temps sont désormais dictés et limités ; ils ne nous appartiennent plus. Cela attaque nos repères ancestraux de nomades et uniformise les rythmes de vie. Pas de compensation possible par nos relations aux autres puisque la distanciation physique oblige à s’écarter les uns des autres et le port du masque cache toute communication non verbale. Alors que nous avons un besoin viscéral de toucher, d’échanger et de lire les expressions du visage, comment se sentir vivant sans ? Comment continuer décemment sans les métiers offrant convivialité, partage, art et création ?

Enfin, notre rapport au sacré, c’est-à-dire à notre conscience, au vivant, aux cycles et transitions de vie, est confisqué. Les naissances, cérémonies, fins de vie et deuils sont traités de manière indécente ; ces rites de passage essentiels ponctuant nos existences depuis la nuit des temps sont des moments intimes autant que de partage, de reconnaissance, d’appartenance et de respect mutuel. Comment célébrer et digérer ces événements seul, isolés les uns des autres ?

L’effet covid est un formidable révélateur de dysfonctionnements et un puissant accélérateur de transformations, une étape inconfortable et obligée pour préparer l’éclosion d’une société, espérons, saine et raisonnée. Celle-ci ne sera possible qu’en prenant soin de nos besoins essentiels, de notre humanité, du vivant en nous. Nous empêcher de vivre ne nous évitera pas de mourir, peu importe les motifs avancés.

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